Hémodialyse & Ecologie : Quel impact sur notre environnement ?

Pascale Lefuel le 10 avril 2017

La thérapie de substitution rénale qu’est l’hémodialyse est extrêmement énergivore. Au sein de notre service de néphrologie des HUG, des soignants se sont mobilisés afin d’adopter une attitude plus écologique et faire évoluer nos pratiques. Eric GUITHON infirmier en hémodialyse a mené une réflexion lors de son travail final du CAS SPIR sur ce thème.

Les pistes de réflexion qu’il a menées se situent sur plusieurs fronts :

  • Dans le domaine du traitement de l’eau, est-il possible d’en diminuer la consommation ?
  • Peut-on interférer sur la consommation d’électricité pour la réduire ?
  • Concernant les déchets engendrés par notre activité, peut-on les restreindre et serait-il opportun de trier plus sélectivement ?

L’eau :

Pour les HUG où environ 70 patients sont dialysés de manière chronique, l’eau utilisée représente environ 2 piscines olympiques par année (50mx25mx2,4m) soit 6 000 m3 pour environ 10 000 dialyses par an. En comparaison, un suisse consomme 162 litres d’eau par jour soit 59 m3/an.

La consommation d’eau totale de l’osmoseur nécessaire à la fabrication d’eau purifiée du circuit de dialyse est d’environ 13 à 14 m3 d’eau brute par jour pour environ 315 jours de fonctionnement par année soit un volume consommé total de 4 250 m3.

Même s’il existe dans la distribution un système en boucle avec récupération (l’eau pure qui n’est pas utilisée revient à l’osmoseur où elle est retraitée), l’eau rejetée par l’osmoseur est actuellement directement évacuée à l’égout et le volume est d’environ 6 à 7 m3 /jour (50%), soit sur 315 jours environ 2 000 m3.

Proposition écologique :

Un recyclage de l’eau rejetée par l’osmoseur serait possible en théorie mais peu pratique, car le faible débit instantané (4 à 6 L/mn) impliquerait un réservoir de stockage intermédiaire pour des applications telles que : alimentation de sanitaires ou espaces verts. De plus, un réseau additionnel spécifique à cet usage devrait être mis en place en parallèle au réseau déjà existant, ce qui impliquerait des investissements disproportionnés par rapport au prix du m3 de l’eau destinée aux HUG (3CHF par m3).

Notons quand même que cela permettrait une économie de l’ordre de 2 000 m3 rejeté et 6 000 CHF/an et que l’amortissement de l’installation pourrait se faire à long terme.

L’électricité :

« La consommation en électricité d’une séance de dialyse pour un patient utilise plus de la moitié de ce que consomme une famille australienne de 4 personnes durant une journée : un générateur consomme entre 600 et 700 watts par séance, la désinfection après chaque séance environ 1500 watts ; et il faut rajouter la désinfection en boucle. »

Les solutions éco-responsables :

Les HUG continuent leur engagement dans la démarche qualité de l’institution en faveur du développement durable en s’équipant de nouveaux panneaux photovoltaïques pour une surface totale, désormais de 1 400 m2. La production attendue d’électricité sur une année correspond à la consommation de 58 ménages, ce qui place les HUG comme l’un des acteurs éco-responsables incontournable au niveau suisse.

La production issue des panneaux solaires (800 à 900 kWh/m2 par année) représente la consommation annuelle de 2 générateurs de dialyse (2X400 kW/h). Avec des conditions optimales sans variation de production solaire, à l’instar des pays plus au sud, les 1 400 m2 de panneaux solaires suffiraient largement à alimenter toutes les machines de notre centre.

Aux HUG l’électricité issue du solaire est assimilée à l’électricité du réseau fourni par les SIG (Services Industriels Genevois).

photo du barrage d'Emosson

barrage d’Emosson

Une véritable prise de conscience par rapport au développement durable s’est opérée à Genève en 2017, l’électricité distribuée par les SIG est renouvelable, d’origine photovoltaïque et surtout hydraulique, fabriquée par les barrages suisses.

Dans la globalité, on peut dire que l’électricité fournie aux HUG provient d’énergies renouvelables et s’inscrit dans une démarche écologique.

 

 

 

Les déchets :

Concernant les déchets résultant de l’activité exclusive à l’hémodialyse, leur circuit n’étant pas différencié, E. GUITHON n’a pas pu obtenir un chiffre précis sur la quantité globale auprès de la voirie. Il a cependant fait une approximation de la quantité de déchets produits dans notre centre, en pesant les sacs de la filière jaune (déchets contaminés, sang, liquides biologiques… non récupérables) et les sacs de la filière grise (ordures ménagères, papiers, plastiques, gobelets, verres… recyclage possible).

Le traitement d’un patient équivaut à 3 kg 500 de déchets par séance soit 500 kg/an. Ce qui représente environ 40 tonnes pour les patients des HUG.

Proposition écologiques :

Les coûts financiers de la dialyse font partis intégrante des coûts écologiques. Au niveau européen, les 600 000 tonnes de déchets de dialyse posent des problèmes écologiques considérables. Sur l’échelle des interventions proposées par la CEE, dans son rapport sur le thème de la prévention et du recyclage des déchets dans un chapitre intitulé : « introduire la notion de cycle de vie dans la politique des déchets », on retrouve :

  • 1 – la prévention des déchets,
  • 2 – la réutilisation, le recyclage, la restauration,
  • 3 – l’élimination.

Le tri des déchets est l’élément déterminant du coût de la gestion des déchets : la différence entre une procédure de tri optimale et minime est mineure à l’échelle d’une dialyse = 0,20 CHF en moyenne… mais peut représenter 60 millions CHF à travers le monde (156 sessions de dialyse/an/2 millions de patients).

Les coûts de l’élimination des sacs aux HUG sont :

  • 400 à 1000 CHF/Tonne filière jaune (selon la provenance les déchets cytologie et pathologie plus chers),
  • 300 à 400 CHF/Tonne filière grise
  • 0 CHF pour les papiers, cartons, divers plastiques = matière première (emportée gratuitement).

Dans notre centre, grâce à la collaboration de la voirie, nous avons mis en place le tri sélectif en même temps que les blocs opératoires et la pharmacie. IMG_3532

Actuellement, l’objectif des 50% de déchets recyclés est atteint, l’effort doit continuer à se faire au niveau des HUG sur les déchets des ordures ménagères (filière grise) pour lesquelles on compte 30 à 40 % de déchets recyclables non récupérés.

La généralisation du tri sélectif est programmée aux unités des HUG durant l’année 2017 et elle permettra d’atteindre l’objectif des 70 % des déchets recyclés !

La voirie a fourni à notre centre de dialyse 4 trios de poubelles roulantes pour les plastiques durs, mous et pour les papiers. Cette collecte a permis de récolter 5 tonnes de plastique et 1 tonne de papier recyclés pour le centre en 2016.

Les Bidons d’acide :

Ceux-ci servent avec la cartouche de bicarbonate, à réaliser le bain de dialysat qui sera en contact avec le sang du patient pour réaliser la dialyse. Sont-ils pour autant nocifs ? Les bidons ne contiennent que de l’acide acétique en faible quantité, qui est un acide faible que l’on trouve naturellement dans le vinaigre. Il n’y a aucun risque de corrosion sur les canalisations, ni risque pour la santé lors du rejet dans les éviers des restes de bidons.

Le volume rejeté aux HUG est d’environ 15 000 L soit 3 000 bidons pour 10 700 bidons utilisés annuellement, soit 1/3 rejeté aux égouts.

Pour répondre à ces problèmes, la meilleure solution est l’investissement dans une centrale d’acide, qui offre les avantages combinés d’éliminer la nécessité des bidons individuels tout en évitant le gaspillage des restes d’acide, après le traitement.

Aux HUG, avec l’achèvement du nouveau bâtiment G. JULLIARD et le déménagement des bureaux actuels, nous disposerons bientôt de place permettant le stockage d’une centrale qui est à l’ordre du jour.

Les perspectives d’avenir :

  • Création de guidelines et de postes d’infirmier(e)s référent(e)s en écologie : Les anglais ont pris des mesures importantes en ce qui concerne l’écologie. Ils ont créé un groupe le Green Nephrology qui surveille tous les centres de dialyse du pays en analysant leurs pratiques. Des green guidelines ont été introduits par ce groupe et sont disponibles sur leur site internet. A l’instar de ce qui se passe outre-manche, il serait souhaitable de former du personnel pour mener à bien des projets concernant l’écologie et pour sensibiliser les nouveaux collaborateurs sur les bonnes pratiques environnementales inhérentes à la dialyse.
  • Recyclage des filtres de dialyse : Les filtres de la dialyse conventionnelle sont réutilisables à plusieurs reprises après nettoyage, mais la stérilisation chimique nécessaire est également nocive pour l’environnement et n’offre donc pas de solution durable.
  • Recyclage sans fin : Un produit bien conçu va produire moins de déchets (optimiser l’emballage) ou être recyclable (éviter l’utilisation de différents types de matières dans un même dispositif). Selon le modèle du berceau au berceau, l’assimilation d’une partie du matériel dans les matériaux originaux qui peuvent entrer à nouveau dans le processus de production, est la solution définitive : chaque produit est conçu pour être réutilisé sans fin (une idée applicable aux voitures mais aussi aux générateurs de dialyse).
  • Coopération plus étroite avec l’industrie : particulièrement au sujet des cartouches de bicarbonate et consommation des osmoseurs ainsi que tous les aspects plutôt négligés de la dialyse, pouvant augmenter la pérennité de la thérapie de substitution rénale sur notre planète en danger ! Une nouvelle génération d’osmoseurs consommant moins d’eau et moins d’électricité et adaptable au nombre de dialyses est d’ores et déjà à l’étude.
  • L’hémodialyse par sorbents : Le principe est de faire passer le dialysat usé à travers un filtre constitué de 4 couches rapprochées afin d’obtenir une solution purifiée retournant vers le patient. Le filtre contient également la capacité de filtrer les bactéries et les cytokines. Cela permet l’obtention d’une eau ultra-pure. Le filtre à sorbents doit être utilisé conjointement avec un filtre d’hémodialyse semi-perméable classique ; ainsi le filtre semi-perméable épurera le sang et le filtre à sorbents permettre de recycler le dialysat. La dialyse par sorbents n’a besoin que de 6 L d’eau en circuit fermé versus 400 à 500 L en HD. A ce jour, des études n’ont concerné que de petits collectifs de patients, des études à plus large échelle devront être réalisées pour évaluer au mieux l’efficacité, les risques et la gestion de tels dispositifs.
  • Le rein artificiel : recréé à partir de cellules souches dans le cadre de recherches expérimentales. Les 1ers tests réalisés sur des reins d’animaux sont plutôt encourageants et l’hypothèse d’une transplantation de rein par cellules souches reste un défi pour les prochaines décennies.

On voit qu’écologie et économie sont étroitement liées, et que la réduction des coûts des traitements ne peut se faire sans une politique de recyclage de l’eau, des déchets ainsi que l’effort de la part des industriels dans la fabrication de leurs produits pour les rendre moins énergivores et plus recyclables. Au travers des éléments que nous a apportés E. GUITHON nous voyons qu’il est possible pour notre centre de dialyse et d’une façon plus générale de faire quelques investissements pour réaliser des économies, et s’inscrire dans une politique plus respectueuse de notre environnement.

Si l’avenir nous fournit des techniques qui amèneront à la fin de la dialyse telle que nous la connaissons, c’est aujourd’hui qu’il faut être vigilant et agir pour demain.

Photo d'Eric GUITHON infirmier en hémodialyse

 

 

Un grand merci à Eric GUITHON,pour nous avoir fait partager le fruit de son travail de recherche.

 

Publié par Pascale Lefuel

Infirmière spécialiste clinique de néphrologie.

8 commentaires

  1. Gilbert Vuilleumier 10 avril 2017 à 18 h 29 min

    Félicitations pour ce travail!
    Juste une mise au point: vous écrivez:”un générateur consomme entre 600 et 700 watts par séance, la désinfection après chaque séance environ 1500 watts ;” qui ne veut pas dire grand chose: le Watt est l’unité de puissance, il faut le multiplier par un temps pour connaître l’énergie qui, elle, se mesure en WattSeconde (ou plus souvent en kWh) C’est bien l’énergie que l’on cherche à économiser…

    Répondre

    1. Je vous remercie beaucoup de votre intérêt pour l’article et de votre remarque judicieuse; en effet après concertation avec nos techniciens, la consommation d’un générateur de dialyse s’exprime en en kWh.
      Pour un appareil récent, elle est de 0.7 kWh (700 Wh) soit 2.8 kWh pour une séance de 4H.
      La désinfection actuelle consomme 0.8 kWh.

      Répondre

  2. Bonjour, je m’intéresse aux éco. d’eau dans le cadre de la dialyse et vous indiqué

    “Un recyclage de l’eau rejetée par l’osmoseur serait possible en théorie mais peu pratique, car le faible débit instantané (4 à 6 L/mn) impliquerait un réservoir de stockage intermédiaire pour des applications telles que : alimentation de sanitaires ou espaces verts. De plus, un réseau additionnel spécifique à cet usage devrait être mis en place en parallèle au réseau déjà existant, ce qui impliquerait des investissements disproportionnés par rapport au prix du m3 de l’eau destinée aux HUG (3CHF par m3).

    Notons quand même que cela permettrait une économie de l’ordre de 2 000 m3 rejeté et 6 000 CHF/an et que l’amortissement de l’installation pourrait se faire à long terme.”

    Il n’y a donc pas de solution selon vous.

    merci

    Répondre

  3. Bonjour,

    Concernant l’eau rejetée par l’osmoseur, il n’y a pas d’intérêt économique à investir dans notre centre étant donné l’abondance d’eau en Suisse, le faible prix du m3 et l’investissement important pour alimenter un réservoir placé sur le toit de l’Hôpital.

    En revanche, les HUG ont investi dans 1400 m2 de panneaux photovoltaïques et la production issue du solaire est assimilée à l’électricité du réseau fourni par le distributeur, dont nous bénéficions indirectement.

    Notre principale économie est liée à l’introduction du tri sélectif en réduisant les coûts d’élimination des déchets.

    Pour plus d’informations concernant les économies d’eau réalisées en Angleterre, je vous donne le lien suivant:

    Green Nephrologie et Guidelines : Accès
    http:// map.sustainablehealthcare.org.uk/category/programme/green-nephrology

    Cordialement,

    Répondre

  4. Á mon retour de vacance, je viens de trouver dans ma poubelle, des sacs de plastic transparents comportant des petits boyaux.
    On me dit que dans le building où nous demeurons, une personne à besoin de soins de dialyse. Je me demande si ces sacs vont dans le bac ‘recyclage’ ou ‘poubelle’ ?
    J’apprécierais une réponse. Merci!

    Répondre

    1. Bonjour Michèle,
      Il incombe à chacun d’éliminer ses déchets. Toutefois, pour répondre à votre question, à domicile on peut pratiquer la Dialyse Péritonéale, qui nécessite du dialysat (liquide incolore et stérile), qui se chargera des déchets intracorporels après l’échange. Ceux-ci sont normalement évacuer dans les toilettes ou lavabo. Et les tubulures en plastique transparentes sont éliminer avec les déchets ménagers.
      S’il y avait du sang dans les tubulures (en cas d’hémodialyse) les déchets sont à acheminer au CTDS (centre de traitement des déchets spéciaux) – 40 route de Verbois – 1288AIRE LA VILLE. Pour cela il faut être inscrit.
      Mais dans votre situation, vous n’avez pas signalé de sang !? Donc ce serait dans la filière des déchets ménagers.

      Répondre

  5. Bonjour,
    avez vous finalement installé la production centralisée d’acide dans vos nouveaux locaux ?
    et si oui avec quel bénéfices ?
    merci pour votre retour d’expérience

    Répondre

    1. bonjour, la centrale d’acide n’a pas encore été installée dans notre centre de dialyse aux hôpitaux Universitaires de Genève. Cependant 2 autres centres privés de dialyse sur Genève l’ont fait.
      cordialement.

      Répondre

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *