Hémodialyse et respect de la confidentialité

Bernadette Gombert le 23 avril 2014

Centre de dialyse des Hôpitaux Universitaires de Genève.

Centre de dialyse des Hôpitaux Universitaires de Genève.

Dans le contexte du CAS SPIR (Certificate Advanced Studies en Soins aux Personnes en Insuffisance Rénale) Madame Ada Yamani,infirmière en hémodialyse aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) a rédigé en 2013 son travail de validation ayant pour sujet le respect de la confidentialité dans le service où elle exerce. Les soignants ont en charge des patients dialysés fragiles et souvent avec un dossier médical lourd. La préoccupation des infirmières et des médecins est principalement d’effectuer des soins de la plus grande qualité possible, en tenant compte de protocoles rigoureux et complexes. La réduction de la contamination, de la propagation de l’infection, de la limitation, voire la suppression de la douleur sont une inquiétude permanente des soignants. La sécurité du patient pendant l’hémodialyse est la priorité. Dans cette contingence, le respect de l’intimité et de la sphère privée de la personne soignée peut passer au second plan.
La question que Madame Ada Yamani s’est posée est : « Quelle place réserve le personnel soignant du service d’hémodialyse des HUG au respect de la confidentialité ? » et voici, ci-dessous, quelques courts extraits de son très bon travail et quelques résultats de sa réflexion. C’est bien-sûr, avec son accord, que je retranscrits une petite partie de son mémoire.
« A l’opposé de la sur-médiatisation et de la divulgation d’éléments de sa vie privée dans divers supports médiatiques (télé-réalité, médias sociaux…) le respect de la confidentialité devient une problématique majeure dans la réalité quotidienne du travail dans un service d’hémodialyse. Les conditions architecturales de notre nouveau service (voir article « Bienvenue en Hémodialyse » de janvier 2014) nous demandent de faire face à une promiscuité compte tenu du nombre croissant de patients qui arrivent en dialyse et d’un périmètre de travail restreint. Nous avons la possibilité de dialyser 22 personnes à la fois. Ces 22 patients sont répartis en 2 zones. D’une part, 12 places pour les malades stables partagées en deux secteurs de 6 patients. D’après la circulaire http://www.hosmat.eu/circulaires/textes05/2005-205.pdf il est recommandé 1,50 mètre entre 2 fauteuils, ce que nous n’atteignons pas si 2 patients côte à côte ont leurs abords vasculaires opposés, donc pas de générateurs de dialyse entre eux. D’autre part, 10 places pour les malades instables exigeant des soins compliqués et une surveillance accrue. Dans ce secteur affecté aux soins aigus, il y a des cloisons d’1m 40 de hauteur soit deux patients entre chaque cloison. Deux places sont réservées dans une chambre isolée avec la possibilité de fermer la porte. Lors des visites médicales, et malgré l’effort de discrétion des médecins, certaines informations transmises à un malade sont entendues par le patient d’à côté. Cette promiscuité freine à transmettre des éléments très personnels, intimes pouvant améliorer le prise en charge thérapeutique. Cet avis rassemble les soignants de manière unanime. Nous voyons les patients trois fois par semaine, pendant de longs mois, voire plusieurs années, ainsi une relation privilégiée de confiance, voire de complicité, s’instaure naturellement. Certains patients nous décrivent comme une deuxième famille. Cette relation d’intimité collective, somme toute sympathique, entraîne une certaine désinvolture dans nos comportements professionnels allant parfois jusqu’à l’oubli de la discrétion professionnelle, aboutissant même quelquefois à la fuite involontaire d’information. Ce constat conjugué à l’espace restreint des locaux réduit le principe fondamental de la confidentialité et du secret professionnel dont nous sommes dépositaires.
En pratique, des informations qui concernent le patient et son contexte de vie médical, psycho-social et familial sont parfois divulguées à d’autres professionnels (diététiciens, assistants sociaux…) toujours dans le but d’une meilleure prise en charge thérapeutique. D’où l’importance et la pertinence dans le choix des informations à demander, à retenir et à transmettre comme le Serment d’Hippocrate le prévoit : « Je tairai ce qui n’a jamais besoin d’être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir de grand cas ».
Par un questionnaire distribué à tous les soignants (médecins, infirmiers, aides-soignantes, diététicien), j’ai voulu objectiver la façon dont est perçu ce respect de confidentialité en hémodialyse aux HUG. Cette enquête a permis d’observer que ce sujet n’apparaît pas comme une priorité :
• 61% pensent que respecter la confidentialité est le devoir professionnel le moins important.
• 57,7% pensent que préserver la confidentialité est moyennement important.
• 53,8% sont insatisfaits de l’application du respect de la confidentialité
• 73% pensent qu’il est possible d’améliorer la situation.
Voici les propositions récoltées pour améliorer :
1. Parler doucement. Eventuellement s’assoir, des tabourets roulants sont accessibles aux soignants
2. Utiliser la chambre d’isolement lorsque nous faisons appel à des traducteurs, des psychiatres ou lors de soins à des patients sourds
3. Demander aux visiteurs de sortir lors des soins et des visites médicales
4. Privilégier les transmissions entre soignants dans la salle de colloques et non pas au lit du patient
5. Expérimenter un entretien deux fois par an en dehors du contexte de la dialyse. Cette entrevue, proposée par le Dr D. Fumeaux, favoriserait la discussion concernant des sujets délicats comme la sexualité, la gestion familiale, et prise de décision importante
6. Promouvoir la formation des soignants et les sensibiliser en leur rappelant leurs responsabilités vis-à-vis du secret professionnel
7. Afficher « la charte du patient en hémodialyse » élaborée par un groupe de travail au sein de notre équipe, supervisée et validée par les Professeurs Pierre-Yves Martin et Samia Hurst
8. Désigner une-un référent-te par patient pour centraliser et mettre à jour les informations personnelles
9. Utiliser les paravents pour préserver au mieux l’intimité des patients
10. Placer le tableau d’affichage des patients à l’abri des regards extérieurs
11. Favoriser les transmissions informatiques pour supprimer peu à peu les documents papier
Pour conclure, on peut rappeler que malgré un cadre juridique ferme, une volonté institutionnelle catégorique et une dimension éthique clairvoyante et justifiée l’application du respect de la confidentialité annoncée comme une obligation devient un parcours laborieux compte tenu des obstacles et de la réalité concrète du quotidien professionnel des médecins et des soignants en hémodialyse.
Comme tout article de blog appelle à des commentaires les questions que j’aimerais poser à tous les hémodialysés est : « Comment vivez-vous cette promiscuité en hémodialyse ? » et « Accepteriez-vous de venir à l’hôpital une ou deux fois par an, en dehors d’une séance de dialyse, pour un entretien ? » Voir plus haut la proposition N° 5 du Dr D. Fumeaux.
http://www.ge.ch/legislation/rsg/f/rsg_a2_08.html
http://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19370083/index.html
http://www.ge.ch/legislation/
http://www.hosmat.eu/circulaires/textes05/2005-205.pdf

Publié par Bernadette Gombert

3 commentaires

  1. beau travail de fin de formation! Belle reflexion! Je trouve la proposition 5 (entretien avec le médecin en dehors des séances) très intéressantes.

    Répondre

  2. Je suis un ex-dialysé, et peut-être en train de le redevenir.
    La proposition du Dr Fumeaux est très intéressante, mais je dirais que c’est une chose qui se fait informellement, sans le pronocer, depuis longtemps : ce n’est qu’une “mise sur papier”.
    Car les discussions avec les soignant(e)s sont très importantes, et le climat de famille cité dans l’article permet au patient de lui rappeler d’une manière profondément émotionnelle que n’est pas qu’un assemblage d’acides aminés.
    La confidentialité, et cela on l’oublie souvent, n’est telle que si TOUS les acteurs qui environnent le patient,disons l’être humain, sont concernés.
    Par exemple, il y a des médecins qui n’ont pas de conscience de l’implication sociale, psychique, sexuelle, émotionnelle, et j’en passe … de l’insuffisance rénale sur la vie du patient. Ces points importants, qui font partie de la vie, et qui influencent la santé physique, sont passés au second plan.
    Et que dire alors des institutions ? Elles qui ont tous les pouvoirs et dont par des actes de pression et de chantage, CASSENT cette confidentialité tant demandée.
    Confidentialité et confiance vont de pair.
    Un récipient hermétique ne tolère aucun trou.

    Répondre

    1. je vous remercie de votre commentaire, je suis touchée de votre manière profondemment émotionnelle de nous rappeler, à nous soignant, qu’un patient n’est pas “un assemblage d’acides aminés. Heureusement tous les médecins et toutes les infirmières n’oublie pas cela.

      Répondre

Répondre à ricc2014 Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *